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Après le FDMA voici le FDMEIQ – Bilan

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Quinze ans après le Forum des Musiques Amplifiées (FDMA) et quatre ans après la dissolution de la SOPREF, l’organisme qui en était né, la scène indépendante est peut-être mûre pour une nouvelle remise en question. L’Association de la musique indépendante du Québec (présentateur du GAMIQ depuis 2006) et la SPACQ ont invité tous les acteurs de la scène musicale indépendante à en discuter les 12 et 13 novembre dernier.

Les forums sur les enjeux de l’industrie musicale ne sont pas rares. Quelques tentatives ont germé dans la scène locale au milieu des années 2000, Les Bazarderies de Montréal en tête de file, et les festivals de musique tiennent régulièrement des ateliers de discussion. Mais Patrice Caron de l’Association de la musique indépendante du Québec veut placer la scène indépendante locale au centre du débat. «Ces temps-ci les Bobards se font envoyer des amendes à répétition pour excès de bruit, et il y a juste une petite gang qui se révolte. J’ai le sentiment que la fraternité qui a pu exister à une certaine époque n’est plus vraiment présente et j’aimerais qu’on puisse faire front commun.»

De ce forum il espère des résultats concrets, notamment un document synthèse qui supporterait les musiciens et travailleurs culturels dans leurs demandes de subventions. «Je me câlisse de ce que Bob du Zimbabwe pense du téléchargement illégal, je veux entendre Pierre-Jean-Jacques de la rue Hochelaga. Je trouve que le gros problème de la scène locale, par rapport à nos aspirations, c’est qu’on manque de data. On a besoin d’un état des lieux, d’exemples tangibles, de rapports, pour appuyer ou infirmer ce qu’on demande.»

Le CALQ et l’ADISQ ont récemment tenu des débats sur les changements dans l’industrie de la musique et sur l’état de la chanson québécoise. Mais puisque peu de musiciens de la scène émergente peuvent se permettre de payer leur adhésion à l’ADISQ, leur représentation y a été minime. «Les gens qui dirigent le débat se servent de vieilles données qui ne sont plus vraiment pertinentes à notre époque, comme soundscan. Si on les laisse seuls à prendre la parole, ça va prendre un bout de temps avant qu’il y ait un vrai réveil des instances concernées par rapport à la situation, parce que les données sont faussées. Je pense que l’industrie en général a intérêt à connaître les réactions de la première ligne, mais on est rendu au point où des structures nées des suites du FDMA entrent dans les vieilles et ne prennent plus l’innovation en main. La réalité sur le terrain est différente quand on n’a rien à perdre, que quand on risque de perdre quelque chose.»

C’est à propos du grand absent du Forum des musiques émergentes et indépendantes du Québec que la discussion s’est ouverte. De 1998 à 2009, la Société pour la promotion de la relève musicale de l’espace francophone (SOPREF) a offert à une pléiade d’artistes indépendants leur première opportunité sur le marché du disque, grâce à son distributeur LOCAL distribution. Mais c’est son rôle de conseiller et d’agrégateur qui semble aujourd’hui manquer le plus à la scène locale.

«La SOPREF était visible, c’était des embassadeurs pour la scène locale. Cynthia (Bellemare, service aux membres) était de tous les événements», se souvient Martine Groulx, ancienne DG de la SOPREF et co-fondatrice de la maison de disque La Meute. «La fermeture de la SOPREF a aussi entraîné la perte d’un lieu de rencontre», ajoute Patrick Labbé (Never More Than Less, disques Nomade). «Leurs locaux étaient un point de chute pour les musiciens qui n’étaient pas de Montréal.»

Lionel Furonnet du Divan Orange en a profité pour annoncer que ses collègues et lui avaient entamé des démarches pour faire de leur immeuble un bâtiment qui sera destiné aux travailleurs de la scène musicale indépendante. À l’image du combat mené dans le mile-end par le regroupement Pied Carré, l’endroit assurera des loyers abordables aux artistes afin de pérénniser la bâtisse et sa vocation artistique.

L’un des grands combats de la SOPREF fut de se faire porte-parole des musiciens indépendants dans toutes les tables de concertation. La SPACQ a repris une partie du mandat de l’organisme, mais on ne peut pas dire qu’elle accorde autant d’importance à tous les styles musicaux, ni que tous les administrateurs sont aussi au fait de la réalité de la scène indépendante que l’étaient le personnel de la SOPREF. Il faut cependant savoir que la SPACQ offre des formations à prix modique. On sentait bien mardi que ces ressources sont encore trop peu utilisées. La SPACQ travaille actuellement à mettre en ligne une grande foire aux questions pour les musiciens qui débutent dans le métier. Elle offrira aussi un calendrier des subventions, un pas de plus pour que les informations voyagent dans la communauté artistique.

Plusieurs pistes de solutions ont été lancées pour faire revivre un esprit de communauté, mais il semble que personne ne croie en la création d’une nouvelle structure. Martine Groulx a proposé de suivre l’exemple du hashtag #EyeOnCanada que s’est attribué le milieu du cinéma canadien, et de créer un terme qui servirait à annoncer toute initiative touchant la scène locale afin de centraliser les informations. Dorothée Parent-Roy (Ultraptérodactyle, Believe Digital) a lancé l’idée de désigner des ambassadeurs pour la scène locale, des gens reconnaissables qui s’afficheraient comme mentors. «Il faudrait que ce soit une personne qui soit dans tous les shows et que les gens se sentent bien d’aller voir lorsqu’ils ont des questions.»

Offre locale en outils et en diffusion numérique

Le Canada, Québec en tête, accuse un retard astronomique sur l’Europe et les Etats-Unis quant à la consommation de musique numérique. Peu d’artistes indépendants se retrouvent sur les grosses plateformes numériques, puisque ce sont des distributeurs qui font habituellement affaire uniquement avec des maisons de disques qui les nourrissent. Lueur d’espoir, Believe Digital (photo) lancera prochainement une petite sœur destinée aux artistes orphelins.

C’est justement Dorothée Parent-Roy, forte de son expérience chez Believe Digital, qui s’est exprimée la première quant à la pertinence de créer un outil de diffusion numérique québécois. «Je trouve que développer des outils numériques spécifiques pour le Québec c’est se freiner soi-même, s‘empêcher de rayonner à l’extérieur, de développer un nouveau public.»

Les tentatives québécoises de créer une alternative n’ont pour l’instant pas porté fruit. Zik.ca et Poste d’écoute répondent mal aux besoins des consommateurs (les extraits musicaux sont limités en plaisir) et coûtent considérablement plus cher que les grosses plateformes, alors que la population québécoise voit encore peu de valeur à un abonnement mensuel pour du streaming. Mais est-ce que l’idée de départ était bonne? Devrait-on créer un bandcamp québécois pour que les revenus engendrés par les achats restent au Québec?

«Il faut promouvoir le contenu qu’on a mis sur ces plateformes plutôt que d’en créer une nouvelle et d’essayer par tous les moyens d’y emmener les gens, a insisté Patrick Labbé. Dorothée Parent-Roy a également tenu à préciser qu’iTunes ne se réservait pas une cote excessive. «C’est un peu nombriliste de se passer de leurs diffusion dans le but de garder l’argent au Québec. Ils prennent 30%, et en reversent 10% aux droits mécaniques.» Si la création d’une plateforme québécoise n’a pas semblé faire son chemin, plusieurs ont souligné l’avantage à tirer parti de la spécificité locale pour se vendre ailleurs. Deezer travaille d’ailleurs sur une page d’accueil destinée aux artistes québécois.

Selon une représentante de la compagnie Greencopper, qui développe des applications mobiles pour les festivals, il faudra tirer parti des «tastemakers». «On se dirige vers une ère de recommandation, mais les outils seront digitaux plutôt qu’humains.» Affirmation précisée par Dorothée Parent-Roy : «Beaucoup de ces algorythmes sont basés sur des spécialistes. La notion de tastemaker est très importante, parce que les gens ne savent plus quoi écouter dans la masse de musique disponible.» «Les gens ne suivent plus Rajotte, mais Songza», a illustré Patrick Labbé. «Il serait donc peut-être plus pertinent de créer un système de recommandation d’artistes québécois que de construire une plateforme externe.»

Sur le marché québécois, la télévision possède encore une puissante influence. «On voyait clairement le ‘avant’ et le ‘après’ du passage de Half Moon Run à Pénélope», a rappelé Sébastien Charest (SPACQ). «Il n’y avait réellement plus de disques en magasins après leur passage.»

Patrick Labbé a finalement souligné le fait que beaucoup négligent de donner leur musique à la Bibliothèque Nationale, qui projette se mettre éventuellement à la numérisation de sa collection de disques.

Et le reste

Parmi les autre problématiques discutées pendant le Forum, Alexandre Mainville du Cabaret du Mile-End a souligné que la plupart des salles sont locataires de leur immeubles, ce qui les rend inéligibles aux subventions pour changer leur matériel technique. Il attend aussi son permis pour ouvrir sa salles aux moins de 18 ans depuis deux ans.

De nombreux intervenants ont insisté sur la difficulté d’attirer des jeunes de moins de 25 ans dans leurs spectacles ou dans leurs salles. Ancienne employée d’Indica, Dorothée Parent-Roy disait qu’un de leurs sondages avait montré que les jeunes préféraient regarder un concert sur youtube que d’aller en salle. Au Québec, seuls deux réseaux (Contact ontarois en Ontario et Réseau Cerf-Volant dans les provinces atlantiques) font la tournée des écoles secondaires avec des groupes de musique.

Source : Ariane Gruet-Pelchat

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